Jean-François Chiron et la place des femmes dans l’Eglise

Ci-dessus, une image de l’Église

Le 19/11/2024, le journal La Croix publie une tribune du père Jean-François Chiron, théologien bien connu à la cathédrale de Chambéry.
Celui-ci réagit à la tribune du père Denis Biju-Duval interrogeant le diaconat féminin :

Père Jean-François Chiron

Le père Denis Biju-Duval, dans sa tribune du 13 novembre, balaye un ensemble de thèmes concernant l’ordination des femmes au presbytérat aussi bien qu’au diaconat, en évoquant des thématiques de fond qui relèvent à la fois de la christologie et de l’ecclésiologie. Il ne saurait être question d’accompagner l’auteur dans un commentaire de tous les points évoqués ; on se limitera ici à quelques exemples en laissant de côté la question de l’ouverture du diaconat aux femmes.

Denis Biju-Duval évoque, pour rappeler la place qui peut être celle des femmes dans l’Église, sainte Catherine de Sienne : il rappelle à juste titre qu’elle est plus connue que le pape de l’époque et qu’on peut estimer que son rôle dans l’histoire de l’Église fut plus conséquent. Mais faut-il qu’une femme soit une Catherine de Sienne pour compter dans l’Église ? On pourrait aussi bien évoquer Jeanne d’Arc, certes plus connue que le roi Charles VII.

Doit-on réserver aux femmes, pour qu’elles comptent dans la société, le rôle d’une Jeanne d’Arc ? Et nous savons bien que, sur le temps long comme au jour le jour, l’histoire de l’Église comme institution est faite par les papes bien plus que par les femmes, et l’histoire de la société politique par les rois ; les Jeanne d’Arc sont l’exception. Que des femmes puissent avoir un rôle prophétique et que l’Église le reconnaisse, on doit le constater et s’en réjouir ; mais ce qui est en cause relève d’un autre ordre.

La mentalité de l’époque

Il faut revenir sur le choix par Jésus de 12 hommes pour constituer son cercle le plus rapproché. Et redire qu’il est bien difficile de voir, dans ce choix, un argument pour réserver la prêtrise aux hommes. Qui sont les 12 ? Bien avant d’être les chefs de l’Église, ils sont ce que leur nombre indique : les représentants des 12 tribus de l’Israël que Jésus veut rassembler pour en faire le cœur du Royaume ; un Joseph Ratzinger l’a en son temps souligné.

Geste prophétique dont on ne doit pas sous-estimer l’importance christologique : en rassemblant symboliquement Israël dispersé, Jésus fait ce que Dieu seul peut faire. Mais, secondairement, on comprend que, parmi ces 12, il ne pouvait y avoir que des hommes : il était inconcevable, dans la mentalité de l’époque, qu’une tribu ait été représentée par une femme… La parité n’était pas à l’ordre du jour.

Quelles qu’aient été les convictions du Jésus de l’histoire – auxquelles nous ne saurions accéder – il fallait bien qu’il tienne compte des mentalités de son temps. En l’occurrence, un groupe mixte aurait signé la fin de son ministère. Le Christ a su, on aime le rappeler, bousculer les préjugés de son temps ; celui-ci était intangible.

Les évidences du temps

Quand on évoque « le caractère structurellement “genré” de nombre de vocations et de ministères dans l’Église », il faut être prudent quant au partage entre ce qui relève de « leur enracinement dans la Révélation elle-même » et de déterminations sociales. Prendre conscience de ce que représentent les mentalités d’une époque est essentiel, en théologie comme ailleurs ; et cela vaut aussi pour le refus opposé par l’Église, dans l’histoire, à l’ordination des femmes : les mentalités du jour n’y sont pas pour rien.


 

"Prendre conscience de ce que représentent
les mentalités d’une époque
est essentiel, en théologie comme ailleurs ;"


 

Citons une formule de saint François de Sales écrivant à une femme de haut rang : « Votre sexe veut être conduit, et jamais, en aucune entreprise, il ne réussit que par la soumission ; non que bien souvent il n’ait autant de lumière que l’autre, mais parce que Dieu l’a ainsi établi. » C’étaient les évidences du temps. Notons au passage combien l’évêque oppose la nature – les femmes valent bien les hommes – au décret divin, dans sa souveraineté mais aussi son arbitraire. On n’en est plus là, on ne peut plus en rester là.

Hypersexualisation de l’Église

Reste la thématique d’une Église située du côté de la féminité, au sein de laquelle les ministres représenteraient de par leur masculinité le Christ homme. On n’est pas loin des thèses reprises par le pape François au théologien suisse Hans Urs von Balthasar. Pourquoi pas ? Mais n’y a-t-il pas ici comme une hypersexualisation et du ministère, et de l’Église – et du Christ, dont la masculinité est soulignée ?

Beaucoup trouveront qu’il y a là quelque chose de gênant : on peut rapprocher et articuler les registres théologique et anthropologique, les superposer à ce point est problématique. S’agissant de l’Église, on honorera le Paul de la Lettre aux Éphésiens – l’Église épouse du Christ – sans pour autant paraître donner un sexe, ou un genre, à l’Église, qui serait le pendant de celui du Jésus historique ; on notera aussi qu’il n’est pas question, ici, des ministères.

Et le Paul aux Galates affirme bien que, dans l’Église, il n’y a plus « ni l’homme ni la femme » : non pas négation de la différence sexuée, mais relativisation au regard de ce que tous sont, dans le Christ. Et, certes, le Ressuscité assume tout de la condition charnelle du Jésus de l’histoire, sa masculinité comme sans doute sa judéité ; mais il transcende ce qu’il assume, et la théologie doit en rendre compte avec finesse. Un raccourci du type : Jésus était un homme, donc le Christ est un homme, doit être, quelle que soit sa part de vérité, manié avec prudence. Surtout si on le prolonge par : donc les prêtres doivent être des hommes.

Le signataire de ces lignes n’est certes pas un militant de l’ordination presbytérale des femmes ; et les enjeux de leur accès au diaconat restent à approfondir. Mais, s’agissant de réalités qui touchent à une question aussi fondamentale que la place des femmes dans l’Église, il faut redire que tous les arguments ne sont pas recevables. Il va de soi que la position du magistère catholique peut légitimement être défendue ; il reste à la présenter en ayant recours à des arguments, non seulement audibles par nos contemporains, mais crédibles en théologie.
 

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20 décembre 2024, mis à jour le 2 janvier 2025