Le père Jean-François Chiron, collaborateur du curé Loïc d’Aranda, publie régulièrement des tribunes dans le journal La Croix.
Voici celle du 30/06/2025 sur la Tradition et le pèlerinage de Chartres.
Le pèlerinage de Chartres s’est tenu cette année encore, le lundi de Pentecôte. Une tradition vieille de 10 ans, et qui attire encore plus de monde. 19 000 catholiques !
En mai dernier, une lettre de Rome transmise aux évêques de France leur a rappelé qu’une organisation peut mettre sur pied « un pèlerinage, mais n’a aucune autorité en ce qui regarde la liturgie ». L’évêque de Chartres, Mgr Philippe Christory, a demandé, mi-mai, dans un courrier adressé à l’association Notre-Dame de Chrétienté, qui organise ce pèlerinage, de ne plus exclure la célébration de la messe selon le rite actuel de l’Église (en vigueur depuis le concile Vatican II).
Jean-François Chiron indique que la Tradition doit être interprétée à la lumière du concile Vatican II :

La lumière de la Tradition
On entend souvent dire, de la part de certains représentants de courants catholiques dits traditionalistes, qu’accepter Vatican II et le magistère subséquent ne leur pose pas de problème, dès lors qu’ils sont interprétés à la lumière de la Tradition, comme le demandait Benoît XVI. C’est sur cette formule qu’il est permis de s’arrêter un moment.
Il faut se réjouir, tout d’abord, de cette acceptation de principe du concile et du magistère ultérieur (nous en resterons, dans les lignes qui suivent, à Vatican II). On sait que les disciples de Mgr Lefebvre n’en sont pas là, toutes les tentatives de rapprochement qui ont pu avoir lieu l’ont montré. Or, sans réception du magistère conciliaire, on ne voit pas qu’il puisse y avoir pleine communion, ni même vrai rapprochement : l’enseignement d’un concile œcuménique n’est pas matière à option, même en un temps où domine l’idéologie individualiste. On fera simplement noter au passage qu’il peut sembler contradictoire d’affirmer accepter un concile et en même temps de refuser un élément important de son apport, à savoir la réforme liturgique qu’il a expressément voulue.
Quant à recevoir et à interpréter Vatican II « à la lumière de la Tradition », la chose doit être considérée comme allant de soi. Tout concile s’inscrit dans une continuité, qui remonte aux Apôtres. La rupture n’est pas envisageable, et surtout pas s’agissant de doctrine. Le passé aide à comprendre le présent ; bien plus, il contribue à lui donner sens.
La lumière de Vatican II
Mais il faut considérer que le principe selon lequel Vatican II doit être interprété à la lumière de la Tradition doit être complété par le principe inverse – et certes pas contradictoire – selon lequel la Tradition doit, dorénavant, être interprétée à la lumière de Vatican II. Il faut le dire, et oser le dire, faute de quoi on prive le concile de ce que son message a apporté. Car un concile, c’est un effort – et un gros effort, que l’Église ne consent que rarement – pour redire, à frais nouveaux, le message reçu des Apôtres.
« À frais nouveaux » : sinon, pourquoi réunir un concile ? Et à quoi servirait un magistère doctrinal, s’il ne s’agissait que de se répéter ? Tout concile est réuni pour interpréter la Tradition, compte tenu des contextes, des débats du jour, des outils intellectuels nouveaux dont on vient à disposer. Et il le fait à la lumière de la Tradition – on sait le rôle joué à cet égard, dans les coulisses des conciles (de tous les conciles), par les connaisseurs de la Tradition que sont les théologiens.
En rester à l’affirmation, en soi exacte, qu’il faut interpréter Vatican II à la lumière de la Tradition peut conduire – et conduit de fait, on le constate facilement ici ou là – à « dissoudre » le message du concile dans la Tradition, à en faire le simple écho de la Tradition, ou, plus exactement, d’une certaine conception de la Tradition, traduisant une vision passablement rétrécie de celle-ci. On en arrive à une sorte de « circulez, il n’y a rien à voir » : le concile n’aurait fait que répéter, sans rien imposer. Pourquoi dès lors se donner la peine de récuser Vatican II ? On le saluera au passage tout en l’ignorant de fait, ce qui l’a précédé en matière de Tradition étant considéré comme suffisant.
Le risque de l’immobilisme
Or ce qu’a fait Vatican II, à savoir proposer une vision de la Tradition « pour aujourd’hui », c’est ce que tous les conciles ont entrepris. Qu’avait voulu faire le concile de Trente, sinon réaffirmer certains essentiels de la doctrine catholique face au protestantisme ? On a dès lors interprété la tradition catholique sur les sacrements, sur l’interprétation de l’Écriture, sur la grâce, en fonction de ce que Trente avait énoncé. Le concile constituait la grille d’interprétation autorisée de la Tradition antérieure. Qui oserait affirmer aujourd’hui qu’il faut interpréter Vatican II à partir de Trente, plutôt que Trente à la lumière de Vatican II ?
Finissons en parlant un peu latin, puisque le latin est, paraît-il, au goût du jour : l’adage traditionnel Nihil innovetur, nisi quod traditum est peut être compris comme signifiant « ne rien innover, sinon en fidélité avec ce qui est transmis », mais aussi « ne rien innover et en rester à ce qui est transmis ». L’immobilisme va alors prévaloir. Mais est-il surprenant que l’immobilisme doctrinal et intellectuel l’emporte, quand on opte pour l’immobilisme liturgique ? Inversement, le choix d’une liturgie ne varietur n’implique-t-il pas celui d’un fixisme doctrinal ?
Tout se tient, et, on le sait, la liturgie est aussi l’indice d’autre chose qu’elle. Que les jeunes qui cheminent vers Chartres soient bien loin des discussions sur l’interprétation de Vatican II, c’est certain, et sans doute heureux ; la question est de savoir qui les enseigne et ce qu’on leur enseigne, à Chartres et ailleurs.
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